16.12.09

Top 2009


Déjà un grand cru :

1- Inglourious Basterds de Quentin Tarantino
2- Ce Cher mois d'août de Miguel Gomes
3- Public Enemies de Michael Mann
4- Up de Pete Doctor
5- Tokyo Sonata de Kyoshi Kurosawa
6- Avatar de James Cameron
7- Funny People de Judd Apatow
8- Star Trek de J.J. Abrams
9- Southland Tales/The Box de Richard kelly
10- 24 City de Jia Zhang Ke
11- Benjamin Button de David Fincher

Banc : Marley et Moi, Fighting, Ponyo, Tetro, La Ville Fantôme, Le Chant des oiseaux, Démineurs, Kinatay...

14.12.09

Peau morte



C'est une place assez logique qu'a choisi d'occuper Robert Zemeckis à Hollywood. Lui qui fut sans doute l'un de ses meilleurs storytellers, une sorte de clone épuré de Spielberg capable du meilleur rip-off d'Indy (A la Poursuite du diamant vert), d'une saga SF fondatrice (Retour vers le futur), comme d'une sidérante variation sur le mythe de Robinson Crusoë (Seul au monde), défriche aujourd'hui les nouveaux territoires narratifs de son médium. Quitte à ne plus livrer que des films-malades comme ce Drôle de Noël de Scrooge. Comment raconter une histoire en images, utiliser la caméra pour faire avancer le récit ? Au début du siècle, la technologie numérique libèrera la question de ses derniers fers : la performance capture combinée aux progrès de l'imagerie de synthèse vont abolir les limites physiques du plateau. Le tournage ne consiste plus désormais qu'en une captation du jeu de l'acteur, un travail de mime enregistré pour les besoins de son double digital. Le corps dissous dans la machine ne lui faisant plus obstacle, l'espace virtuel peut alors s'offrir comme un infini terrain de jeu, un monde en soi où les plans n'ont de limite que l'imagination de celui qui les conçoit. Le plan-séquence impossible qui ouvre Scrooge synthétise à merveille ce cinéma de la post-prod, petite révolution conceptuelle qui abstrait la mise en scène de toute contingence. Et remet le cinéaste au centre du processus créatif.

Mais comme toute technologie encore balbutiante, celle-ci fait toujours le désagréable effet d'une bande-démo. Comme si Zemeckis étudiait une nouvelle langue mais n'arrivait pas à l'articuler. Le Pôle Express, Beowulf et Scrooge souffrent au fond du même mal : un déficit d'incarnation physique (on va y revenir) mais aussi cinématographique. Un comble pour un cinéma en 3D sensé accroître l'immersion. Ces trois films donnent l'impression de se faire sans nous, de suivre un schéma précalculé, sacrifiant tout à leur logique de spectacle (ces travellings supersoniques sur 27 bornes et demi...) y compris leur fiction. Scrooge, comme Beowulf avant lui, travaille pourtant une structure ternaire et classique, une suite de réflexes narratifs qui devrait placer le film sur des rails. Hélas : la fluidité ahurissante de cette mise en scène numérique, ce sentiment d'aspiration qui nous étreint tout du long, écrête littéralement ce qui l'environne, aspire le film dans son trou noir. Mécaniquement, c'est un paysage lisse et froid qui s'offre à nous, quelque chose d'un peu monstrueux, parfois stupéfiant de beauté désertique puis terrifiant de programmatisme. Il suffit de s'attarder sur les rides de Scrooge pour être envahi par ce vertige esthétique. Théoriquement, on le voit bien, la performance capture frôle le mimétisme, la plus petite expression faciale de Jim Carrey a été ici enregistrée, moulinée, puis reproduite avec une rare fidélité. Son épiderme respire, crevasse et, tout faux qu'il soit, palpite du réel resté de l'autre côté de la machine. Mais un truc s'est perdu dans le transfert. Non pas cette âme qui sert trop de réponse à tout, mais un infime pourcentage de matière, ce chromosome qui permet à la réalité de tenir debout. Ce qui à l'écran devrait refléter le vrai n'en est plus qu'une mutation génique. Un humanoïde.

Le vrai sujet est là. Et Roger Rabbit en dessinait les prémisses dès 1988. Ce qui s'y jouait, c'était une rencontre des matières, une manière de faire dialoguer deux régimes d'image d'égal à égal. Humains à ma gauche, gouache à ma droite. Jusqu'à ce final traumatique où le méchant tombait le masque pour dévoiler sa vraie nature : celle d'un toon grimé en humain. Derrière sa frigidité de façade, Le Drôle de Noël de Scrooge ne dit rien d'autre. Sauf que c'est cette fois l'humain qui est devenu un toon. A bien y réfléchir, Zemeckis redéfinit ici les termes du dialogue entre film et spectateur : la fameuse caverne de Platon est désormais digitale, et ce nouveau royaume des illusions nous apparaît plus duel que jamais, à la fois proche et lointain de nous. Impossible de ne pas y songer lorsque le dernier spectre vient hanter Scrooge. L'ombre de ses chevaux démoniaques se découpe d'abord sur les murs, inquiétante mais inoffensive. Puis elle s'en détache lentement, avant d'en surgir dans une vision d'horreur décuplée par une 3D englobante, totale, qui vient transcender l'image. Retour sur le visage de Scrooge qui donne tous les signes de la terreur mais n'en incarne aucun, aussi dense que le réel mais plus spéculaire qu'un miroir. Champ-contre-champ, ombre vivante contre peau morte : dans Le Drôle de Noël de Scrooge, le faux n'a jamais semblé plus vrai et le vrai plus faux.

Voir aussi cet excellent papier du non moins excellent JS.

Ou alors cette parfaite synthèse exécutée par JJG.