11.12.08

Je lisais ça -brillant d'ailleurs- et je pensais :

Je me demande si le récent cinéma des frères Coen n'est pas tout entier ramassé dans Chigurh, le tueur de No Country for Old Men : un bloc d'étrangeté manifeste, à la frontière de tout, de la folie, de l'humanité, de la monstruosité, zone de friction entre terre et acier trempé, comédie et tragédie dans le même mouvement, une bestiole sans illusion, pure abstraction. C'est son esprit malade, schizo, qui a bavé sur Burn after reading, comme s'il avait fini par contaminer toute la réalité, phagocyter ce qui reste de quotidien. Les personnages du film ne sont que des figures pathétiques, de pures fonctions prises dans les rêts d'une réalité enroulée sur elle-même. Des marionnettes emmêlés dans leurs fils. Plus grand chose de vivant ici, au sens fort qu'on aime à lui donner, juste une pure mécanique ivre de sa propre vitesse, fasciné par son pouvoir d'autodestruction. Plus rien n'a d'importance, d'ailleurs plus rien n'a de sens ("qu'est ce qu'on a appris ? Rien"), les événements s'écroulent comme des dominos sur un champ de bataille, et ne reste que des morts. Chigurh sourit.

Contre toute attente, ce cinéma est pourtant profondément humain. Non pas dans sa manière de le célébrer, mais justement de le nier, de le biffer, de le ravaler au rang de carburant à fiction. Les Coen sont devenus des cinéastes nihilistes qui regardent la réalité en face mais ne s'en satisfont pas. Ils prennent juste acte d'un monde qui a rejeté l'humain à sa périphérie et broie tout sur son passage dans une jubilation aussi vaine que suicidaire. Mais on aurait tort de lire une quelconque satisfaction sur leur visage. Derrière le sourire de façade, leur fatalisme et leur désespoir dressent un même constat d'échec : No Country for Men. Tout court.
Lisez ça. Si, si.
J'avais raison finalement. J'appelais ça de l'autoflicage, Foucault parle de panopticon, mais le principe est le même : faire un maton de votre vis-à-vis.

Ah oui, puis regarde aussi ça.
The matrix has you.

10.12.08

C'est Thirion qui le dit : "Burn after Reading est le Boulevard de la Mort des Coen, un film préoccupé de vitesse, abandonnant les récits tentatulaires et choraux (...)"

Pas faux sur ce point ( la vitesse). A côté pour le reste : Tarantino filme d'adorables cagols, les Coen shoote de misérables crétins. Le braquet est le même, pas la conduite.

8.12.08

104

Lu ça.
Puis vérifié sur pièces.
Et le 104 est un tube. Une conduite forcée. S'y matérialise cette glissade permanente des corps, cette impression si contemporaine de passer parce qu'on nous refuse. Je suis un étranger. Ici tout est pure surface, conçu pour nous accélérer, pauvres particules, nous cracher à l'autre bout du canon. L'ambiance hall de gare ou quai d'embarquement n'est pas feinte : le 104 est un non-lieu. Sauf qu'aucun drame ne s'y joue. Pas de départ, ni d'arrivée, rien d'autre que la traversée hébétée du vide, une déambulation glaciale et mortifère (il s'agirait d'un ancien et gigantesque funérarium). Si l'art est rencontre, confluence, synergie (à en croire les responsables de ce truc), il a déserté ces lieux, et l'on ne voit pas comment il pourrait y revenir. Difficile de voir ici autre chose qu'un détachement souverain, qu'une déconnexion, pardon, une sur-connexion spatio-corporelle. De là, sans doute, sa beauté conceptuelle, cette fascinante inclination des lieux à nous considérer comme pure trajectoire plutôt qu'être humain, à nous comprendre dans sa structure comme on y injecterait un fluide. Attention : stationnement interdit.

3.12.08

A quoi bon écrire, m'interroge, à quoi bon quand d'autres le font mieux ? Mon complexe vire à l'obsession ces temps-ci, ronge les derniers synapses de la boîte noire qui me sert de cervelle. L'Impasse. Oui, comme le film de De Palma. L'impression de n'avoir pas commencé que je vois déjà le mur de la fin : ce texte aussi je le terminerais la mort dans l'âme. Merde. C'est atroce de conchier ce qu'on pisse. Je peux plus les voir ces longues lignes filasses qui courent de pixels en pixels sur le mur blanc et rétroéclairé de mon impuissance. Je peux plus les voir ces mots à la traîne, péniblement ânonnés par mes doigts perclus de doute qui se prennent par la main à la manière de potes qui se haïraient. Je peux plus les voir, eux non plus, ces textes brillants écrits comme on tient "une caille aux ailes délicatement bandées pour l'envol" (Terence Malick), ces pièces d'orfèvrerie assemblées par d'autres, je ne sais comment, dans le laboratoire de leur carafon. A quoi bon écrire, m'interroge, à quoi bon si tu n'enrichis que le temps et ton petit égo malade. Quand je regarde mon clavier noir de touches et de l'encre électronique que je n'ai su calligraphier, je ne vois que la projection boutonneuse de mon désordre intérieur. C'est tout. Un tapis de lettres sous lequel sommeillent des fulgurances fantasmées, sans que je sache comment les faire sortir de leur torpeur. Soulever la carpette ? Je n'arriverais, je ne le sais que trop, qu'à faire s'envoler les cailles de tout à l'heure. J'ai la peur d'écrire. Chevillée. Au ventre. Voilà tout et ce n'est rien. Rien d'autre que ça. Une peur de dire moins, une peur de de lire mieux, à droite de l'écran ou ailleurs. Fermer les yeux, je vois que ça.