16.12.09

Top 2009


Déjà un grand cru :

1- Inglourious Basterds de Quentin Tarantino
2- Ce Cher mois d'août de Miguel Gomes
3- Public Enemies de Michael Mann
4- Up de Pete Doctor
5- Tokyo Sonata de Kyoshi Kurosawa
6- Avatar de James Cameron
7- Funny People de Judd Apatow
8- Star Trek de J.J. Abrams
9- Southland Tales/The Box de Richard kelly
10- 24 City de Jia Zhang Ke
11- Benjamin Button de David Fincher

Banc : Marley et Moi, Fighting, Ponyo, Tetro, La Ville Fantôme, Le Chant des oiseaux, Démineurs, Kinatay...

14.12.09

Peau morte



C'est une place assez logique qu'a choisi d'occuper Robert Zemeckis à Hollywood. Lui qui fut sans doute l'un de ses meilleurs storytellers, une sorte de clone épuré de Spielberg capable du meilleur rip-off d'Indy (A la Poursuite du diamant vert), d'une saga SF fondatrice (Retour vers le futur), comme d'une sidérante variation sur le mythe de Robinson Crusoë (Seul au monde), défriche aujourd'hui les nouveaux territoires narratifs de son médium. Quitte à ne plus livrer que des films-malades comme ce Drôle de Noël de Scrooge. Comment raconter une histoire en images, utiliser la caméra pour faire avancer le récit ? Au début du siècle, la technologie numérique libèrera la question de ses derniers fers : la performance capture combinée aux progrès de l'imagerie de synthèse vont abolir les limites physiques du plateau. Le tournage ne consiste plus désormais qu'en une captation du jeu de l'acteur, un travail de mime enregistré pour les besoins de son double digital. Le corps dissous dans la machine ne lui faisant plus obstacle, l'espace virtuel peut alors s'offrir comme un infini terrain de jeu, un monde en soi où les plans n'ont de limite que l'imagination de celui qui les conçoit. Le plan-séquence impossible qui ouvre Scrooge synthétise à merveille ce cinéma de la post-prod, petite révolution conceptuelle qui abstrait la mise en scène de toute contingence. Et remet le cinéaste au centre du processus créatif.

Mais comme toute technologie encore balbutiante, celle-ci fait toujours le désagréable effet d'une bande-démo. Comme si Zemeckis étudiait une nouvelle langue mais n'arrivait pas à l'articuler. Le Pôle Express, Beowulf et Scrooge souffrent au fond du même mal : un déficit d'incarnation physique (on va y revenir) mais aussi cinématographique. Un comble pour un cinéma en 3D sensé accroître l'immersion. Ces trois films donnent l'impression de se faire sans nous, de suivre un schéma précalculé, sacrifiant tout à leur logique de spectacle (ces travellings supersoniques sur 27 bornes et demi...) y compris leur fiction. Scrooge, comme Beowulf avant lui, travaille pourtant une structure ternaire et classique, une suite de réflexes narratifs qui devrait placer le film sur des rails. Hélas : la fluidité ahurissante de cette mise en scène numérique, ce sentiment d'aspiration qui nous étreint tout du long, écrête littéralement ce qui l'environne, aspire le film dans son trou noir. Mécaniquement, c'est un paysage lisse et froid qui s'offre à nous, quelque chose d'un peu monstrueux, parfois stupéfiant de beauté désertique puis terrifiant de programmatisme. Il suffit de s'attarder sur les rides de Scrooge pour être envahi par ce vertige esthétique. Théoriquement, on le voit bien, la performance capture frôle le mimétisme, la plus petite expression faciale de Jim Carrey a été ici enregistrée, moulinée, puis reproduite avec une rare fidélité. Son épiderme respire, crevasse et, tout faux qu'il soit, palpite du réel resté de l'autre côté de la machine. Mais un truc s'est perdu dans le transfert. Non pas cette âme qui sert trop de réponse à tout, mais un infime pourcentage de matière, ce chromosome qui permet à la réalité de tenir debout. Ce qui à l'écran devrait refléter le vrai n'en est plus qu'une mutation génique. Un humanoïde.

Le vrai sujet est là. Et Roger Rabbit en dessinait les prémisses dès 1988. Ce qui s'y jouait, c'était une rencontre des matières, une manière de faire dialoguer deux régimes d'image d'égal à égal. Humains à ma gauche, gouache à ma droite. Jusqu'à ce final traumatique où le méchant tombait le masque pour dévoiler sa vraie nature : celle d'un toon grimé en humain. Derrière sa frigidité de façade, Le Drôle de Noël de Scrooge ne dit rien d'autre. Sauf que c'est cette fois l'humain qui est devenu un toon. A bien y réfléchir, Zemeckis redéfinit ici les termes du dialogue entre film et spectateur : la fameuse caverne de Platon est désormais digitale, et ce nouveau royaume des illusions nous apparaît plus duel que jamais, à la fois proche et lointain de nous. Impossible de ne pas y songer lorsque le dernier spectre vient hanter Scrooge. L'ombre de ses chevaux démoniaques se découpe d'abord sur les murs, inquiétante mais inoffensive. Puis elle s'en détache lentement, avant d'en surgir dans une vision d'horreur décuplée par une 3D englobante, totale, qui vient transcender l'image. Retour sur le visage de Scrooge qui donne tous les signes de la terreur mais n'en incarne aucun, aussi dense que le réel mais plus spéculaire qu'un miroir. Champ-contre-champ, ombre vivante contre peau morte : dans Le Drôle de Noël de Scrooge, le faux n'a jamais semblé plus vrai et le vrai plus faux.

Voir aussi cet excellent papier du non moins excellent JS.

Ou alors cette parfaite synthèse exécutée par JJG.

14.5.09

En fait

En fait, suivez moi là : http://www.chronicart.com/cannes09/index.php

12.5.09

YES WE CANNES !


Mon 4e Festival de Cannes.
Accrédité cette année (yeah).

Ca commence mal : le sac est moche. Très. C'est un sac à dos. Putain. Un sac à dos.

J'ai trouvé refuge en salle de presse le temps de choper les clés de l'apart. Les hôtesses, as usual, piquent les yeux. Surtout celle du café, caramba !

Enfin pu faire mon programme pour ces 10 jours. 35 films en prévision. La fin de festival (à partir du 2e jeudi) paraît nettement plus calme que le début. Pas un mal. Boulot, dodo.

Début des hostilités demain, après le PIXAR a priori.

Restez en ligne...

15.4.09

R. le maudit

On continue dans la catégorie Recyclage, avec un petit papier consacré à Richard Kelly et The Box son prochain film. Pas d'analyse (je vous renvoie au dernier Chro pour ça), mais une preview pur beurre.


SOUTHLAND TALES hué, sa sortie sacrifiée, THE BOX repoussé : Richard Kelly est abonné aux emmerdes. A se demander s'il ne serait pas maudit...

Richard Kelly aurait-il la poisse ? Lui le wonder-boy, le cinéaste culte, celui à qui tout les ors étaient promis après DONNIE DARKO, vogue de galère en naufrage depuis son coup d'éclat de 2001. Son prochain film, THE BOX, n'en finit plus d'être repoussé, remisé dans les tiroirs de la Warner. Fin du tournage : février 2008. Fin du montage : mai 2008. Sortie prévue ? Octobre 2008... Puis mars 2009, septembre 2009 et maintenant novembre 2009. Juste après Halloween, le pire moment pour un film fantastique budgété à 30 millions de $. Acculé au bord du précipice calendaire, il en faudrait peu pour que THE BOX ne dévoile son contenu qu'en 2010. Deux ans après son tournage. D'ordinaire, ce genre de reports successifs n'augurent rien de bon. Mais Richard Kelly est un cas à part...

Tout a commencé le 21 mai 2006, au Festival de Cannes. La presse ciné s'est levée tôt ce matin-là pour découvrir SOUTHLAND TALES, le second film de Richard Kelly annoncé comme une sarabande apocalyptique. 2H40 plus tard, les mines sont déconfites et les commentaires assassins : « C'est quoi ce film ? », « Le plus affreux bordel que j'ai jamais vu », « Le pire film jamais présenté à Cannes »... Malgré une fan-base qui fait front et crie au chef d'œuvre, la curée est ahurissante et « très pénible » pour le cinéaste. Va s'en suivre un an de remontage et de post-production intensive durant lequel le film perdra 20 minutes mais gagnera quelques SFX. Un replâtrage inutile : sacrifié sorti sur une poignée de copies fin 2007, SOUTHLAND TALES rapportera moins de 400 000 $ au box-office mondial. A peine de quoi rembourser le budget brushing de Sarah Michelle Gellar. Par voie de blog, Kelly se dira pourtant soulagé, prêt à attaquer la face nord de son nouveau projet : THE BOX.

A l'origine, le réalisateur devait se contenter d'écrire le script pour son pote Eli Roth (HOSTEL). C'est une incompatibilité d'agenda qui lui offrira les rênes de ce film fantastique, le projet idéal pour rebondir après la débâcle SOUTHLAND TALES. Tiré d'un roman de Richard Matheson, le pitch de THE BOX tient sur quelques pages. Un couple reçoit une boîte dans laquelle se trouve un bouton : chaque fois qu'ils appuient dessus, ils gagnent un million de $ mais tuent quelqu'un quelque part dans le monde. Imparable. Cameron Diaz et James Marsden sont castés dans les rôles principaux, Arcade Fire compose quelques morceaux, le tournage se déroule sans encombres... Pas fou, Richard Kelly assure le coup : « J'essaie de réaliser un film profondément flippant, du genre à vous faire arracher votre siège, assure-t-il. THE BOX est encore au stade de la finition et je veux à tout prix réaliser un film qui puisse être distribué facilement sur plus de 3000 écrans sans avoir à passer par le stade des projections tests...» C'était fin 2007. Depuis, les choses se sont gâtées et les reports multipliés. R. le maudit is back ? Pas sûr. D'après certaines rumeurs, la Warner serait satisfaite du film et ne repousserait sa sortie que pour le positionner dans la course aux Oscars 2010. Info ou intox ? Le feuilleton Richard Kelly n'en est plus à un cliffhanger près...

14.4.09

« Ce n'est pas un problème de machine, mais d'humain »

Version longue d'un entretien avec Philippe Breton, passionnant anthropologue que j'ai interviewé pour un dossier sur la robotique.



Philippe Breton pose son regard d'anthropologue sur la robotique. Et débusque le mystère qui se planque dans la carcasse de métal : l'être humain.

En quoi la robotique passionne-t-elle un anthropologue et sociologue comme vous ?
La robotique, c'est une manière de représenter l'homme, de le reproduire. Je trouve ça fascinant. Un robot au fond c'est toujours une réplique de l'image de l'homme. Même s'il ne lui ressemble pas physiquement intégralement. La façon dont nous pensons les robots est toujours anthropomorphique. C'est toujours pour réaliser des tâches effectuées par des hommes. C'est fascinant pour un anthropologue parce qu'il ne comprend pas bien ce qu'est l'homme. Il travaille pour comprendre une réalité qui le dépasse. Et voilà que les roboticiens arrivent et se positionnent comme de quasi anthropologues mais disent : « nous on a compris. » On a compris parce qu'on est capable de créer une intelligence artificielle, un robot mécanique qui fait de la peinture comme un homme en atelier. C'est passionnant : les roboticiens sont devenus des concurrents.

Des concurrents qui complètent votre travail ?
Oui et non. Ce ne serait pas fair-play de nier que les informaticiens et les roboticiens ne nous ont pas appris des choses sur le fonctionnement de la pensée. Mais ils ne capturent que la partie mécanique de l'homme, ils ne comprennent rien au lien social. Les machines savent parler mais elles n'ont aucune activité sociale. C'est une société de purs individus. Les roboticiens n'ont pas encore compris ce qui faisait le coeur de l'activité humaine. Ce lien social sur lequel nous anthropologues nous concentrons. En outre, ils échouent, tout comme nous, à comprendre les phénomènes de créativité. Les ordinateurs sont très puissants, mais sont incapables de créer. Aucune machine n'en est réellement capable, au sens humain du terme.

Que traduise les thèses millénaristes popularisées par la SF ?
C'est ancien. Au Xxe siècle, on en retrouve la première trace en 1921 avec la fameuse pièce de Karel Kapec, RUR, qui racontait déjà la prise de pouvoir des robots puis la suppression de l'homme devenu inutile aux machines. Mais c'est un thème qu'on retrouve aussi et surtout au XIXe siècle. L'homme a alors créé un monde qui le dépasse un peu, un monde d'électricité, de réseau, de mécanique... C'est un monde absolument incroyable. Il faut s'imaginer un homme vivant au XVIIIe qui débarquerait en plein XIXe : ce n'est plus du tout le même monde, plus du tout la même planète. C'est un siècle qu'on a du mal à embrasser conceptuellement. C'est un peu le même sentiment de dépassement que l'on projette sur les robots. Ces machines sont la métaphore de nos créations qui nous dépassent et nous effraient.

Le Golem n'est-il pas le mythe fondateur de cette peur ?
Ca c'est une question difficile... J'aurais tendance à dire non. Ca dépend où on met le mythe du Golem. Cette histoire a été réinventée au XIXe, d'ailleurs elle n'a cessé d'être réinventée. Si l'on remonte à l'origine, c'est l'histoire de Pygmalion et Galatée, une histoire qui se termine bien. Les Grecs n'avaient aucun problème avec leurs statues et l'imitation du vivant. Même dans la tradition juive, il y a cette idée de faire attention, mais toujours pas de crainte. C'est plutôt au XIXe siècle que l'on a inventé, rétroactivement, la peur du Golem.

Tout de même, le Golem de Prague de la tradition juive finit par se révolter contre son créateur..
Oui, mais seulement dans la relecture du mythe au XIXe. Le Golem initial est celui de la tradition talmudique, un être créé par la prière pour défendre le ghetto des Pogroms. Il n'y a pas encore de crainte. C'est vraiment le XIXe qui a réinventé la tradition du Golem au travers du mythe de Faust, cette idée que la créature finit toujours par échapper à son créateur. On se met à entretenir un rapport ambivalent à la science, un rapport de désir mêlé de crainte.

Descartes avait pourtant réfléchi cette question de la machine et de sa création dès le XVIe siècle. Il affirmait que « le corps était une machine autonome »...
Sauf que Descartes n'avait pas peur. Au contraire. Dire de l'homme qu'il est comme une machine, c'est sous-entendre que la machine est comme l'homme, donc qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur. Il n'y a pas dans la tradition cartésienne cette peur métaphysique de la machine qui surgira au XIXe siècle, lorsque le millénarisme religieux cède sa place au millénarisme scientifique. On n'a plus peur de la fin du monde parce qu'on a pêché mais parce qu'on a inventé des machines.

Que pensez-vous du rapport des roboticiens à leur travail ? C'est comme s'ils rejetaient l'idée même du syndrome Frankenstein, de cette machine qui pourrait échapper à leur contrôle.
Oui, c'est quelque chose qui dure depuis 50 ans. Toute la création en matière de nouvelles technologies, de robotique, d'intelligence artificielle baigne dans l'irréalisme, l'optimisme. On en trouve les fondements chez Norbert Wiener dans les années 50. C'est vraiment : l'ordinateur va racheter les péchés du monde. L'informatique a toujours été, le petit secteur de la vidéo surveillance mis à part, la partie saine et positive de la science contre le nucléaire, les OGM, et autres sciences « porteuses de malheurs ». L'informatique toujours été la vertu de la science. Les roboticiens sont donc imperméables à l'idée que leurs travaux puissent constituer un danger, une crainte. Ils ne comprennent pas.

Vous parliez de Norbert Wiener à l'instant. A ma connaissance, il n'a jamais manifesté un optimisme béat pour la science.
Norbert Wiener est un pessimiste. C'est quelqu'un qui dit : l'humanité va à sa perte. Il est très marqué par la bombe atomique, le mauvais usage de la science, les camps de concentration... Pour lui, le seul canot de sauvetage, c'est la communication, l'informatique, ce que l'on appelait pas encore les nouvelles technologies. C'est un optimisme de sortie de guerre. Il y a une bonne science qui va racheter la mauvaise et sauver l'humanité. Aujourd'hui c'est un peu différent, l'horizon de la guerre est loin. Encore que : de nombreux informaticiens ne se posent pas la question de l'usage militaire qui est fait de leurs inventions. Les robots les plus agissants dans le monde, ce sont les missiles Tomahawks. Vous le lancez en lui disant « Tu vas là », il y va. Les vrais robots sont les robots militaires.

Il n'y a qu'à voir les robots quadrupèdes de chez Boston Dynamics...
Oui, et c'est très pratique pour les armées. Tous les gens qui travaillent en robotique militaire sont soutenus financièrement grâce à ce fantasme des politiques qu'on pourra un jour remplacer les soldats humains par des robots. Et limiter ainsi les pertes. On peut travailler dans l'environnement militaire tout en sauvant des vies, c'est quand même formidable.

Quel regard jetez-vous sur la science-fiction ?
La science-fiction est le moteur imaginaire de la science. Même si les chercheurs ne sont pas des lecteurs assidus, même si leurs bibliothèques ne sont pas remplis de livres de SF, ça les nourrit. C'est normal d'ailleurs. La fiction a toujours tiré la science en avant. La créativité des roboticiens est indissociable de leur imaginaire, un imaginaire imprégné d'un monde à venir où les machines auront une place beaucoup plus importante. Quelque part, c'est à eux de faire advenir ce futur. Le roboticien est l'accoucheur du monde de demain. Mais le problème de la science-fiction, c'est qu'elle ne va jamais très loin. On en fait de la littérature, on brode autour, on invente les robots, les voyages, les médicaments de demain. Parce que ce n'est pas trop difficile, il suffit de se projeter un peu. Elle a toutes les peines du monde en revanche pour imaginer les liens sociaux, l'humanité du futur.

K. Dick quand même...
Oui, ou Asimov. Quand il décrit la planète Solaria, on n'est pas très loin de notre présent. Mais je suis toujours un peu réservé sur la SF. On tellement de mal à se projeter dans l'avenir. La plupart des livres du genre sont un habillage exotique de situations actuelles. Il y a bien eu quelques auteurs... Mais même K. Dick, ce qu'il met en scène, découle des années 70 et du LSD.

Où va s'arrêter cette interaction homme/machine ?
Oh, je me garderais bien de faire des prévisions. 95 % des prospectivistes depuis les années 50 se sont trompés (rires). Mais il y a une butée, une chose qu'il faudra finir par admettre : nous sommes seuls sur Terre. Même les animaux ne nous ressemblent pas. Nous possédons quelque chose de spécifique que nous ne pourrons jamais transmettre aux machines. On va sans doute faire des machines extraordinaires, hyper-perfectionnées, nous greffer dans l'avant-bras un terminal internet... Mais le vieux rêve de la robotique, celui de la machine qui s'assoit dans un fauteuil en face de moi et qui me dit « Bonjour Philippe, comment ça va ? Tu as l'air fatigué » je n'y crois pas. Intuitivement je crois que l'on ne passera jamais la barrière de la créativité. C'est vraiment la butée. Même si c'est un présupposé métaphysique. Au fond, nous inventons toutes ces machine seulement parce que nous avons un profond sentiment de solitude. On est seuls avec notre espèce. Sans altérité avec qui communiquer. Quand on y pense, c'est un peu tragique comme situation...

C'est une société d'esclaves robotiques qui se prépare ?
Oui, parce qu'on a gagné en sagesse. Il y a eu des enthousiasmes démesurés en robotique, des études menées par des gens sérieux mais qui n'ont donné aucun résultat. Aujourd'hui on est plus modeste. Mais ça va revenir. Il y a des cycles depuis 1945. Des cycles où l'on s'emballe, puis des cycles où l'on retombe. Là on est un peu au creux de la vague, mais je suis certain que dans 10 ou 15 ans il y aura un regain d'enthousiasme pour l'intelligence artificielle, le dépassement du « simple » esclave-automate. Jusqu'à présent, société individualiste oblige, on a conçu le robot comme s'il était un individu. Avec l'avènement d'Internet, peut-être concevra-t-on le robot de la prochaine génération comme une créature collective. Comme un fantôme du réseau.

La Corée travaille actuellement sur une charte éthique de robotique basée sur les 3 lois d'Asimov. La réalité rattrape la fiction ?
On est surtout dans la méthode Coué. Préparer une charte éthique avant que le problème ne se pose, c'est un peu En attendant Godot : on l'annonce sans cesse mais il ne va jamais venir. On peut faire des chartes éthiques, c'est bien mais pour l'instant ça reste de la science-fiction. L'idée que la machine pourrait être totalement autonome, responsable de quelque chose, c'est un fantasme de roboticien. Cela supposerait un degré de connaissance de l'homme suffisant pour qu'on puisse le transférer à la machine. Il faut se rendre compte que les robots ne sont construits qu'à partir d'une connaissance de nous mêmes. Comme personne ne sait pourquoi nous sommes autonomes, ni même si nous le sommes effectivement, impossible de l'implémenter dans un robot. Ce n'est pas un problème de machine, mais d'appréhension de l'humain. Il faut comprendre pour pouvoir faire.

« Quand vous n'êtes pas là, il vit sa vie »



Bruno Maisonnier est le patron d'Aldebaran Robotics, l'un des leaders de la robotique domestique. Il nous présente Nao et ouvre les portes du futur.

C'est quoi un robot domestique ?
Un robot domestique dans 10 ans ce sera un assistant personnel, autonome, qui nous aidera réellement. Comme une aide à la personne. Prenez notre robot Nao. Vous pouvez lui dire : "Nao, viens ici !", "Oui, qu'est-ce que tu veux ?", "Lis-moi mes e-mail", "Lis-moi ce livre"... Il comprend ce qu'on lui dit, il va chercher sur Internet le fichier texte correspondant au livre demandé et il est capable de le prononcer. Vous pouvez imaginer l'intérêt pour une personne mal-voyante ou pour les personnes âgées. Il y aura bientôt une vraie demande pour ce type de produit. Il y en a déjà une d'ailleurs. Mais tout ça ce n'est pas pour tout de suite. Nao est pour le moment destiné à des labos de recherche et aux technophiles. Ces mêmes technophiles qui, il y a 30 ans, achetait des micro-ordinateurs alors que ça ne servait encore à rien.

Quelles sont les limites actuelles de Nao ?
C'est difficile comme question. Imaginez que je vous demande quelles sont les limites de votre ordinateur ! Nao est autonome, capable de se déplacer, de se relever et de se recharger sur le secteur. Grâce à ses micros et ses caméras, il peut également détecter des visages, les reconnaître, comprendre un certain nombre de phrases... Et grâce à son ordinateur intégré, vous pouvez le programmer à loisir. En revanche, il ne pourra jamais courir, monter des escaliers, ni bouger les doigts.

C'est étrange, vous ne parlez pas de Nao comme d'un objet...
Il est un peu plus que ça. D'abord il est autonome. Quand vous n'êtes pas là, il va se balader, vivre sa vie. Et surtout, il a une tête de petit bonhomme. Il a deux bras, deux jambes, un look qui le rend agréable. Notre boulot c'est de fabriquer des robots que les gens ont envie d'acheter. Bien sûr, ce ne sera jamais un être vivant, mais on le considérera un peu différemment du fait de sa capacité d'interface avec l'homme. Pour autant, je compare souvent son intelligence avec celle d'une fourmi. N'importe quel insecte est capable de se balader et d'éviter des obstacles. Ce n'est qu'un ordinateur qu'on programme. Mais ça va évoluer. Les processeurs vont devenir de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, jusqu'au jour où l'on inventera des programmes qui se programment tout seuls. C'est beaucoup plus vertigineux que de faire tenir un robot debout à mon avis.

Et où ça nous mène ?
J'ai une conviction très simple : toute technologie sera explorée à fond. Pour le bien de l'humanité comme pour faire la guerre ou de l'argent. Ce n'est pas pour ça qu'il faut s'empêcher de creuser ces technologies. Une idée n'est jamais bonne ou mauvaise en tant que telle. Il faut bien se dire que l'on en viendra un jour à des problématiques et des questions nouvelles. Ce jour là il faudra mettre des cadres pour éviter que les gens s'en servent mal. Quand les robots seront suffisamment évolués, je crois qu'il y aura donc un droit spécifique de la robotique. Voler un robot d'assistance, ce sera un peu comme voler un chien d'aveugle. Ce ne sera plus tout à fait comme un objet...

9.4.09

DEUS IN MACHINA



Chair humaine contre métal hurlant : la SF a fait du robot notre pire ennemi. A l'heure où ils s'apprêtent à déferler sur le monde, démontons la machine à fantasmes. Et interrogeons son créateur...

« Voyant que sa créature croissait en force et en taille à cause du nom divin sur son front, l'homme se rendit maître d'elle. Effaça son nom. Et le golem tomba en poussière. » Le golem. C'est ce monstre artificiel qui hante les mythes hébraïques. Cet être de poussière et d'argile façonné par la main de l'homme qui aurait volé le gant de dieu. Un humanoïde. Le premier robot. Selon les légendes populaires, le Maharal de Prague l'aurait créé au XVIe siècle pour défendre les Juifs des Pogroms. En inscrivant le nom de Dieu (EMETH) sur le front de cette statue de boue, il lui aurait donné la vie et la force de servir la communauté. Mais l'esclave lui échappa. Lâchée dans les rues de Prague, il y sema un chaos total, écrasant sans pitié les humains qu'il devait protéger. « La légende peut être lue comme la dénonciation du risque que porte en elle la cybernétique, selon Michel Faucheux chercheur sur la valeur symbolique des techniques. Elle réactive le mythe de l'apprenti sorcier, (...) souligne le danger d'une machine autonome et plaide pour sa régulation par l'homme. » A l'heure où les robots fourbissent leurs mécha-membres, dans l'attente de leur avènement imminent, l'ombre du golem resurgit du fond des âges. Et se découpe sur le mur du futur.

LA TACTIQUE DE L'ETHIQUE
Depuis longtemps, la SF a fait sienne ces peurs millénaristes. Les premières machines destructrices apparaissent dans la littérature du XIXe siècle, mais elles ne portent pas encore le nom de robot. Il faut attendre 1920 et une pièce tchèque visionnaire (R.U.R.) pour que le mot soit prononcé. Dérivée du polonais robota (travailleur) et du tchèque robotnik (l'esclave), l'abréviation est sans équivoque : le robot est un travailleur servile. Rien de plus qu'un outil. En théorie. Car son cyber-cortex toujours plus évolué, sa conscience embryonnaire, son autonomie grandissante le conduisent fatalement à se révolter contre la main qui l'exploite. A défier son maître. C'est pour éviter ce syndrome de Frankenstein et protéger l'humain du métal hurlant, que l'écrivain Isaac Asimov formalisa dès 1942 les trois lois fondamentales de la robotique dans sa nouvelle Runaround : 1. Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, en restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ; 2. Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi ; 3. Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi. Un concept si bien ficelé, si séduisant que plusieurs pays songent depuis quelques temps à le transposer dans le monde réel. La Corée notamment qui élabore depuis 2007 « une charte éthique de la robotique pour définir et encadrer les rôles et fonctions des robots intelligents du futur ». Un peu speed les Coréens ? Pas si vite : dans ce pays à la pointe de la technologie, où l'on surfe à plus de 50 méga/seconde l'oreille collée à un cellphone high-tech, un robot par ménage d'ici 2020 n'a rien du délirium SF. Alors le ministère de l'industrie anticipe : « Les robots pensants deviendront des compagnons clés de l'homme », assure Park Hye-Young, membre du bureau de la robotique. Toujours en élaboration, ce texte s'appuierait sur le corpus d'Asimov pour résoudre la batterie de questions juridiques qui ne tardera pas à ouvrir le feu : traitement abusif des robots, utilisation illégale d'un robot, phénomène d'addiction à la robotique... Et même mariage entre humains et droïdes : « Imaginez seulement que certaines personnes se mettent à traiter leurs androïdes comme si c'était leur femme ! » Aïe, robot.

Mais relisons Asimov. En bon scientifique, l'écrivain a expérimenté ses Trois lois au fil de son œuvre. Vérifié leur validité. Éprouvé leurs limites. Relevé leurs contradictions. Pour malgré lui les invalider. Au nom de ces lois, une intelligence artificielle constatant que l'homme est un danger pour l'homme (pollution, guerres...) pourrait nous déchoir, nous dominer, nous détruire pour le bien de l'humanité sans rien enfreindre de ce qu'on lui a implémentées. Inspiré des récits d'Asimov, le I, ROBOT d'Alex Proyas dévoile le tableau apocalyptique de cette réaction en chaîne, l'infernal programmatisme planqué derrière la robéthique. Déjà dans l'ancestral WARGAMES (1983) un super-ordinateur confondait un banal piratage de lycéen avec une attaque soviétique et déclenchait automatiquement le feu nucléaire. Pour nous défendre. La régulation éthique de la machine est-elle vouée aux paradoxes ? « Il ne s'agit que d'un procédé littéraire, tempère Frédéric Kaplan chercheur en intelligence artificielle. Il ne faut surtout pas prendre ces lois au premier degré. Comme l’indique clairement Asimov dans sa préface à la série des Robots, il y a à l’origine l’idée de donner au robot une série de soupapes de sécurité qui devrait empêcher cette révolte inéluctable que l’on retrouve dans toutes les histoires de ce genre. » Pour Kaplan, c'est évident : en démontrant l'inadéquation de ces lois, en jouant sur leur mauvaise interprétation, Asimov réactualise tout simplement le syndrome de Frankenstein. Qui a dit quadrature du cercle ?

SCIENCE SANS CONSCIENCE...
Dans la communauté des chercheurs en robotique, toutes ces considérations éthiques font plutôt marrer : « On est encore plus proche du lave-vaisselle qu'autre chose, lâche Philippe Soueres du Laboratoire d'Architecture et d'Analyse des Systèmes (LAAS). Si des politiques, des juristes veulent se poser ce genre de questions, pourquoi pas, mais ces fantasmes n'ont pas lieu d'être dans nos labos. Ce n'est pas parce qu'un robot a une structure, une tête, des bras qu'il faut projeter dessus l'idée que ce sont des machines intelligentes et douées d'émotion. Nous sommes très loin d'avoir créé quelque chose qui remette en question la place de l'homme. » La révolte des robots ? « Des conneries, pour Nabil Zemiti roboticien du CNRS. Basiquement, un droïde c'est juste un moteur et un bout de ferraille. On peut le faire marcher, le programmer pour effectuer des tâches très simples et aider l'être humain. C'est tout. » Le chercheur est à sa place : prosaïque, terre à terre, imperméable au prospectivisme de la SF. C'est un accoucheur du futur qui ne conjugue qu'au présent. Au conditionnel si l'on insiste. A ses yeux, le robot tient d'avantage de l'ustensile métallique que d'une hypothétique menace sur notre dominion planétaire. Il y voit seulement la réponse prochaine à plusieurs enjeux de civilisations, le vieillissement de nos sociétés occidentales par exemple. Une société française, Aldebaran Robotics, y travaille depuis 2002 : « Dans le futur, chaque personne âgée aura un robot domestique, prophétise ainsi Bruno Maisonnier le boss de ce leader du marché. Il les assistera dans leurs tâches quotidiennes, les aidera à rester plus longtemps chez elle. Aujourd'hui on en est encore aux plate-formes de recherche et développement, mais pour reprendre les propos de la chambre de commerce de l'ONU : "Au XXIe siècle, le marché de la robotique autonome sera aussi gros que le marché automobile au XXe siècle. " »

Investisseurs n°1 ? Les marchands de mort. Qui n'ont rien à foutre de l'assistance à la personne. Tomahawks, drones espions, démineurs mécaniques, machines de combat... Ca fait 30 ans que le Pentagone fantasme son mécha-soldat et injecte des centaine de milliards dans la recherche sur la vie artificielle. Encore au stade de la préhistoire, la robotisation du champ de bataille, le fameux Future Combat System, marche au pas vers le futur. Et réveille le spectre de Skynet (TERMINATOR). Quid de cette machine globale et décisionnelle qui se met tranquillement en place, de cette conduite forcée vers l'automatisation de la guerre, de ce golem cybernétique auquel la science prête indirectement son concours ? « Dès qu'on développe une technologie poussée, il y a toujours des utilisations négatives, répond Philippe Soueres. Mais il est plus du devoir des chercheurs de se poser des questions pragmatiques à brève échéance pour faire avancer la science, que des questions à long terme sur le sens de la vie et de la métaphysique. » Impossible de ne pas songer aux leçons du projet Manhattan. Pendant la 2nde Guerre Mondiale, le gouvernement américain lança ce programme de recherche sur la bombe atomique sans un seul but : prendre les scientifiques nazis de vitesse. Nuit et jour, sans relâche, une poignée de chercheurs travailla à la conception de cette arme sous la houlette d'Oppenheimer. Quand l'Allemagne capitula. Devenue inutile, l'arme atomique aurait pu en rester là, au stade de l'IVG. Mais les savants la finiront quand même. Pas au nom d'un quelconque esprit va-t-en guerre, juste pour voir aboutir leurs recherches, accomplir un exploit scientifique, parfaitement aveugles aux conséquences de leur frénésie. Ils ont obéit, comme de simples machines, au programme bombe-atomique.exe. Quand la première péta dans le désert du Nouveau Mexique, le physicien Kenneth Bainbridge aura cette réflexion : « Maintenant, nous sommes tous des fils de pute. »

HUMAINS AVANT TOUT
C'est par peur de tous ces Golem de la science que les néoluddistes extrémistes en appellent régulièrement à détruire les robots. A faire machine arrière. Nés dans le sillage de la robotique et des nouvelles technologies triomphantes, ce groupe se réclame des luddistes du XIXe, un mouvement ouvrier anglais qui détruisait méthodiquement les machines à tisser des fabriques. « Je n'encourage personne à faire sauter les machines à laver, écrit le philosophe Nicholas Hunt-Bull dans son manifeste néo-luddiste. J'encourage simplement à y réfléchir à deux fois (voire trois ou quatre) avant de décider d'utiliser toutes les technologies à notre disposition. Quand l'outil devient le maître, il est temps d'éteindre son portable. Car le jour où votre portable sera plus intelligent que vous, il sera déjà trop tard. » Sauf que ces ancêtres réac de Sarah Connor, Néo et Morpheus se gourent de cible. Le projet Manhattan et tous les Golem de la SF en font l'implacable démonstration : ce n'est pas la machine qui devrait faire peur. C'est l'homme.

11.12.08

Je lisais ça -brillant d'ailleurs- et je pensais :

Je me demande si le récent cinéma des frères Coen n'est pas tout entier ramassé dans Chigurh, le tueur de No Country for Old Men : un bloc d'étrangeté manifeste, à la frontière de tout, de la folie, de l'humanité, de la monstruosité, zone de friction entre terre et acier trempé, comédie et tragédie dans le même mouvement, une bestiole sans illusion, pure abstraction. C'est son esprit malade, schizo, qui a bavé sur Burn after reading, comme s'il avait fini par contaminer toute la réalité, phagocyter ce qui reste de quotidien. Les personnages du film ne sont que des figures pathétiques, de pures fonctions prises dans les rêts d'une réalité enroulée sur elle-même. Des marionnettes emmêlés dans leurs fils. Plus grand chose de vivant ici, au sens fort qu'on aime à lui donner, juste une pure mécanique ivre de sa propre vitesse, fasciné par son pouvoir d'autodestruction. Plus rien n'a d'importance, d'ailleurs plus rien n'a de sens ("qu'est ce qu'on a appris ? Rien"), les événements s'écroulent comme des dominos sur un champ de bataille, et ne reste que des morts. Chigurh sourit.

Contre toute attente, ce cinéma est pourtant profondément humain. Non pas dans sa manière de le célébrer, mais justement de le nier, de le biffer, de le ravaler au rang de carburant à fiction. Les Coen sont devenus des cinéastes nihilistes qui regardent la réalité en face mais ne s'en satisfont pas. Ils prennent juste acte d'un monde qui a rejeté l'humain à sa périphérie et broie tout sur son passage dans une jubilation aussi vaine que suicidaire. Mais on aurait tort de lire une quelconque satisfaction sur leur visage. Derrière le sourire de façade, leur fatalisme et leur désespoir dressent un même constat d'échec : No Country for Men. Tout court.
Lisez ça. Si, si.
J'avais raison finalement. J'appelais ça de l'autoflicage, Foucault parle de panopticon, mais le principe est le même : faire un maton de votre vis-à-vis.

Ah oui, puis regarde aussi ça.
The matrix has you.